Lyonnel Groulez

Une rue     

C’est une rue ordinaire d’une banlieue que les bourgeois fuient. A toute heure du jour et de la nuit, il y règne une animation que les banlieues chics ne connaissent pas. Ce sont des groupes de jeunes qui l’été peuplent les trottoirs où de vagues terrasses faites de quelques tables de fer et de chaises défraîchies n’invitent guère les passants de hasard. De toute manière, personne n’y vient ainsi. Les gens comme il faut, s’ils viennent à passer par là enfermés dans leur voiture verrouillée, ne s’arrêtent pas et observent de loin les jeunes à casquette ou cagoule.

Ce serait une rue ordinaire pourtant : elle est bordée d’arbres qui offrent une ombre bienvenue quand le soleil de juillet allonge le temps. Elle fut peuplée sans doute autrefois par les ouvriers qui gagnaient leur vie dans les ateliers maintenant désaffectés qui la bordent. Il reste quelques commerces qui ne tentent même pas une enseigne aguicheuse et survivent malgré le voisinage d’un centre commercial.

Ce serait une rue ordinaire si je n’y avait trouvé, dans cette boite rouillée à défaut d’écrin soyeux, un diamant.

Je l’ai perdu.

La rue est là, immobile, je n’y reviendrai plus.

 

Une même rue

La rue est là, immobile, j’y suis revenu.

La rue connaît le froid, elle m’y a surpris plus d’un matin, elle m’y a saisi certains soirs. La rue connaît la chaleur d’août aussi, quand les feuilles de ses arbres n’arrêtent pas assez le soleil, celui qui brûlait l’amant qui attendait encore celle qu’il aimait, tant qu’il en avait la patience, jusqu’au jour il regarda la rue qui l’enveloppait et les séparait, quand la femme et sa rue ne furent plus unis que dans un souvenir où le rêve de ce qui n’a pas été et aurait pu être, remplace peu à peu ce qui fut.

Revoir la rue, et souffrir en silence, se contenter de glisser quelques mots que personne ne lira, et surtout pas celle qui faisait de cette rue ordinaire un paradis étincelant dans une nuit d’hiver pareille à celle où cette fois pourtant, la rue est terne, la rue est morne, la rue ne rit plus.

Rejoindre encore la rue, mais plus celle par qui elle était. La rue n’est plus.

A quoi bon encore marcher dans cette rue quand elle ne mène plus à rien. Elle était une avenue brillante, elle n’est qu’une impasse mal éclairée, sale et mal famée. Je pourrais encore pousser cette grille noire et tenter de retrouver la lumière. L’amour n’y ouvre plus. Le cœur est sec. Les yeux aussi.

A quoi bon. A quoi bon.

 

Marrons

Comment cette odeur des marrons en automne s’est-elle saisie de moi. C’est le printemps, et aucun marronnier n’est à proximité. D’ailleurs, ce n’est pas tant la senteur des marrons que celle des arbres, de leurs feuilles qui tombent et constituent un tapis humide.

Ce tapis sur lequel, enfants, nous jouions en rentrant de l’école, en passant sur cette place d’où aujourd’hui on a enlevé ces grand arbres qui, aux beaux jours, apportaient un peu de fraîcheur aux jeux que nous organisions sur le chemin. Jeux simples le plus souvent. Des billes roulaient dans un caniveau avant de changer de mains.

Mais ce n’est pas le bruit des billes qui s’entrechoquent qui me vient, c’est l’odeur âcre des feuilles d’automne.

C’est le printemps. Ma vie est déjà en automne.

 

 Soubresaut

Est-ce le dernier soubresaut d’un amour qui refuse, obstiné, de mourir complètement et de basculer dans le néant d’où, peut-être, il n’aurait jamais dû surgir ? Tout Paris me ramène à toi, oui toi qui m’a donné ce retour inespéré d’une jeunesse hélas illusoire puisque tu n’es plus là.

Aussi bien le métro qui brinquebale que le ciel trop bleu de ce printemps qui a refusé d’attendre pour vieillir en un été qui s’éteindra pourtant en automne, quand encore une fois tout me rappellera que tu n’es plus celle qui je retrouvais. Les murs trop blancs sous un soleil d’une saison trop rapide m’aveuglent comme hier quand tu me répondais, quand tu acceptais mon amour.

Mais faut-il encore penser à cet amour ? N’est-ce plus qu’une nostalgie de quelques journées et de si rares nuits où tu laissais négligemment tes jambes croiser les miennes, nos mains se retrouver sans que nous y pensions et  ta voix se glisser en moi.

Je sais qu’il est loin, mais Paris me tient à toi. Nous l’avons méprisé ensemble quand il était encore temps. A Saint Germain des Près ou devant Notre-Dame, la folie de toi m’a encore repris, tu le sais et tu vas l’ignorer.

 

La rate de Paris